Légères Variations sur un Songe d’une Nuit d’Eté
Une ligne rouge devant mes pieds , celle que j’ai décidée de franchir cette nuit en rêve.
Un immense oiseau me frôle la tête dans un vol maladroit. Un de ces vols dont j’ai si peur en plein jour. Un de ces vols d’oiseaux paniqués qui me panique à mon tour . Un de ces vols si familiers à l’état de veille. La collision est évitée, la ligne rouge est franchie et l’oiseau s’éloigne .
Puis le rêve bégaie une première fois. Retour au point de départ. La rouge ligne devant mes pieds à nouveau . Un immense oiseau m’attaque, m’oblige à reculer. Je renonce et reste à ma place de mon côté de la ligne .
Troisième bégaiement. Troisième passage de ligne rouge . Ciel dégagé, pas un nuage, pas un oiseau de mauvais augure . Je franchis insouciante la ligne.
Quatrième rembobinage du temps . C’est l’heure du choix me dit une voix en rêve . C’est l’heure de réaliser. Tu es libre de choisir la séquence : la première, la seconde ou la troisième .
Un joyeux brouhaha envahit mes pensées : ” Quelle chance ! Tu es libre de choisir ! Débarrasses toi de ces oiseaux qui t’importunent ! Enfin libre ! “.
Et pourtant, sans l’ombre d’une hésitation, c’est ma propre voix qui s’élève et plane au dessus du brouhaha . Tranchante , légèrement exaspérée, mais surtout résignée :
” Taisez vous, aveugles ! Vous vous trompez sur moi. Je choisis la voix de l’Avertissement. La première, celle des oiseaux qui me frôlent, celle des oiseaux dont j’ai peur .
Et si je suis trop bornée et limitée pour comprendre l’avertissement et franchir en avisée la limite rouge , je les autorise même à m’attaquer, à me bloquer à ma place . La deuxième voie est celle de la Sécurité. C’est un choix par défaut . Vous ne comprenez pas. Le troisième choix, votre choix pour moi , est le pire des choix. C’est le choix de l’Insouciance . Regardez, je vais franchir le Temps dans l’autre sens . Pas le remonter vers le point de départ. L’avancer pour vous montrer de ce côté de la ligne rouge , ce qui s’annonce de l’autre côté , quel que soit la voie choisie .
La ligne rouge apparaît alors. Non plus devant mes pieds , mais vue de très haut. De si haut, que je ne suis qu’un tout petit point devant la ligne . De l’autre côté, vole un autre immense oiseau en ligne droite, aveugle à ce qui arrive de derrière la ligne rouge, aveugle à moi dans sa ligne de mire. Sa trajectoire ne peut que percuter frontalement la trajectoire du point que je suis, si je n’anticipe pas le choc.
Plus de brouhaha joyeux autour de moi. Rien que moi pour la première fois. Moi, qui choisis d’être frôlée par des oiseaux en guise d’avertissement. Pas de choix possible . Une seule voie possible . La seule voie pour avancer avisée.
Le seul choix pour moi qui n’aie pas le choix. Le seul choix d’une variation de perspectives, de l’avant à l’après, de l’après à l’avant. Le seul choix possible pieds nus devant la ligne rouge. De mon coté de la ligne, accepter d’être frôlée par des oiseaux égarés qui m’indiquent la direction d’après. De l’autre côté de la ligne, accepter de frôler les oiseaux pour éviter leur trajectoire d’avant.
Pas de choix insouciant possible en rêve. Pas de choix de sécurité immobile en rêve, non plus.
Un choix simple comme une marge de manoeuvre ténue. Une manoeuvre d’évitement de dernières secondes.
De simples variations de perspectives, légères comme dans un Songe de Nuit d’Eté.